we're all mad here — pv naë

Dans son nouvel environnement, la nymphe évolue, perdue ; dans ce monde de jeu d’ombres et de lumières, où l’interdit devient permis et où les sons qui envahissent son crâne s’étouffent sur une musique aussi douce qu’elle est entraînante. Apeurée, elle danse et se balance, d’un pied sur l’autre, un pied avant l’autre, cherchant son rythme, se laissant guider par une main familière qui seule parvient à la rassurer. La sienne, maladroite, vient tirer sur les limites de sa jupe ; courte, dévoilant ses jambes fines et tremblantes comme celles d’une biche aux abois. « Luna, tu es sûre que… que c’est une bonne idée ? » Mais à son contact, elle tourne et virevolte, passant devant le corps gracile de sa compagne, s’installant alors à une table qui n’est réservée que pour elles. De là, elle regarde le paysage, s’imprègne des lueurs océanes, du plafond nocturne et du bar d’albâtre animé de dizaine de vies.

Il serait tellement facile de se laisser aller.

Mais elle se tend, se crispe, pose ses coudes sur la table en se mordillant timidement la lippe. « Tu es sûre ? » chuchote-t-elle à la mention de l’addition, les yeux à nouveau dans le vague habité autour d’elle. L’endroit paraît cher - largement au-dessus de ses moyens d’étudiante. La banquette de cuir lui mord la peau d’une façon désagréable, d’une sensation dont elle n’a pas l’habitude. Non loin, quelques hommes leurs lancent des regards appuyés qui font rougir la rosée qui se retourne, paraissant encore plus intimidée. Très rapidement, un serveur rejoint leur table, prêt dans son excellence à prendre leur commande. « Un Malibu, s’il-vous-plait… »

Le battement de cils en plus, et elle paraît presque à l’aise, même si son angoisse ne va qu’en grandissant. Elle veut parler, mais n’ose pas encore, se contente de se pencher en direction sa charmante interlocutrice, venant chercher sa main de la sienne pour se rassurer à son contact enchanteur.

Le temps que les verres arrivent, avec en supplément un petit bol de cacahuètes sorti d’on ne sait trop où - suivez mon regard -, la jeune femme prend une profonde inspiration et se lance, d’une petite voix aussi adorable qu’hésitante. « Luna, il faut que je te dise… quelque chose, quelque chose d’important, et je… j’ai peur qu’après, tu… » ne veuille plus de moi meurt sur ses lèvres fruitées tandis que deux silhouettes, bien humaines pour une fois, s’approchent de leur table, verres à la main, sourires aux lèvres.

« Vous êtes toutes seules ? »

As par, non-accompagnées, sans hommes pour veiller à leurs côtés ? Très certainement. De là à dire qu'elles désirent la compagnie, la question se pose, et la nyx déplace son regard vairon sur sa voisine de table, incertaine de la réponse à fournir.

Soulagement intense ; lecture aisée dans les pupilles disparates dilatées par l’inquiétude. Les silhouettes s’éloignent, ne laissant que les murmures apaisants de la naïade et ceux, plus lointains, des oubliés qui veulent s’inviter à la fête. Trouble apparent des phalanges qui se blanchissent autour de la base du verre. Un peu de courage liquide entre les lèvres rosées. Dans le silence grisant de la psychopompe, tout semble plus facile. Sa tête pense les mots qu’elle ne prononce pas encore et, dans son imagination, Luna les prend bien, sans s’étonner, sans s’effrayer. Mais peut-être la réalité sera-t-elle encore meilleure ? Comment savoir, quand les paroles semblent si folles, si incompréhensibles pour qui ne les vit pas au quotidien ?

« Non, ce n’est pas mauvais ! » s’exclame-t-elle d’une voix aux accents perpétuellement doux. « Pas vraiment… Pas pour les autres, en tout cas. » Son don, sa… bénédiction, comme l’a appelée le lycaon, ne fait de mal à personne, sinon à elle. Et les chuchotis de se faire plus présents, rappel constant qu’elle n’est jamais seule, pas même avec sa sirène. Par bonheur, ils ne sont qu’une poignée à murmurer aux oreilles de la nyx, dans cet espace hors du temps où elle cherche du bout de ses doigts libres à toucher ceux de son amie qui tiennent toujours son verre de vin blanc. « Luna, depuis ce qu’il m’est… arrivé… »

Pause. Elle déglutit, dégoûtée, honteuse d’un crime qu’elle n’a pas commis.

« J’entends… des choses… » Corps qui se penche sur le côté, venant au contact de l’épaule voisine. Yeux dépareillés qui cherchent un point d’appui sans oser en trouver. « Des voix, des murmures, des secrets que je ne devrai pas connaître. »

Comment ne pas paraître atteinte avec de pareilles paroles ? Courage saisit de deux mains tremblantes à souhait, elle continue néanmoins sur son hésitante lancée, tendue à l’extrême comme la corde d’une harpe prête à se briser.

« J’ai cru… perdre l’esprit. Je le crois toujours, un peu, mais… mais je peux faire plus que ça. » souffle-t-elle avant de s’arrêter net à l’arrivée des toasts du chef. Ces derniers leurs sont servis comme le met le plus exquis du monde ; serveur penché sur sa compagne, prêt à écouter la moindre de ses demandes avant de se redresser et de repartir comme il était venu - en toute discrétion. Le summum de l’élégance.

La rosée porte son verre à ses lèvres, glissant une gorgée bienfaisante dans sa gorge asséchée, coulant un regard emprunt d’inquiétude vers sa compagne. Va-t-elle s’enfuir ou, pire, lui rire au nez ? Bout du nez froncé sur cette hésitation, la nymphe prend une nouvelle lichée, se retenant d'en dire plus au cas où sa voisine de table aurait dans l'idée de lui conseiller de voir un psy ; ce qui serait, en toute honnêteté, une réaction que la douce ne pourrait lui reprocher.